TRADUCTION PUBLIEE

 


PAVEL PRIAJKO

Nous, Bellywood

traduction Maria Chichtchenkova et Virginie Symaniec


Extrait du texte

H 3 s 'approche de H 1, puis pose sa main sur son dos.
H 3 - Alors, Andrioukha, ça va ?
H 1 - Liocha retire sa main de mon dos, j'ai tout de suite moins de mal à respirer. Je me redresse : « ça roule, Liochik », et nous continuons à marcher. « C'est à cause de ces putains d'aubergines. »
H 3 - J'avais bien dit : « Mange pas. »
H 1 - Mange: un ciel noir, les pas de Liocha, une vitre en plastique. Mange pas: les cris des hérons, des cannes bon marché. Avec les femmes, je ne sais pas, c'est comme tu veux. Une seule chose : ne mange jamais les pieds du ciel, n'essaie même pas de les ronger.
H 3 _ Tu m'écoutes, au moins ?
H 1 – « Bien sûr, Liocha, je réfléchissais juste. » Je vérifie de temps à autre mon pistolet... Les mendiantes du passage souterrain s'immiscent dans ma tête avec leurs fichus, leurs collants déchirés d'où dépassent leurs maigres doigts terreux. Je portais des collants comme ça quand j'étais enfant. Et mes doigts communiquaient aussi avec la terre. On étouffe. « Liochik, je me sens un petit peu naze, je peux même pas t'accompagner jusqu'au train. »
H 3 - C'est bon, Andrioukha, y a pas de lézard. Tu veux que je te file de l'argent pour le taxi, mon pote ?
H 1 - La voilà , l'amitié, vous pigez ? « File si tu peux, je rendrai plus tard. »
H 3 - T'inquiète ! Hep ! Taxi !
H 1 - En ce moment, je suis comme la prostituée de Liocha. Liocha paie le chauffeur de taxi. « Lioch, on n'a même pas jeté un oeil sur les putes de la gare. » Un vent fort et chaud soufflait sur les visages des gens. Le vent bruissait et on avait l'impression de pouvoir allumer une cigarette avec. La gare brillait, crépitait et cliquetait. La nuit approchait. Et quelque part dans la nuit, nous ne nous sommes pas rencontrés. Moi et mon ennemi. Il est là-bas, je suis ici : sans manger, nous buvons l'équateur amer.
H 3 - On s'en fout, monte.
H l - Liocha me pousse vers la voiture. « Lioch, pardon si… »
H 3 - Monte, monte.
H 1 - Liocha paie le chauffeur de taxi, cinq mille. Et moi, je ne le rembourserai pas. Je veux dire, Liocha. Je vais me planquer et éviter ses coups de fil quand il reviendra. Je traquerai mon ennemi. Le chauffeur de taxi, c'est Monsieur X. Regard de taulard. À la fois la tête et la voix. Tellement viril ! H 4, en chauffeur de taxi - Où est-ce que tu vas te fourrer, connard, putain ! T'as de la merde dans les yeux ?! Suceur de bites, p'tain ! Quelle rue tu dis ?
H 1 – Kharkovskaïa... Nous naviguons par bonds. Tout près, il fait déjà noir, ma tête kiffe de se cogner contre la vitre de la portière ; mon front est au frais. C'est fluide dans l'autre sens, c'est ce que je veux, que ce soit joli… Le taxi-nénuphar glissait sous les jurons et la nicotine du chauffeur. L'étroite rivière- route m`emportait de plus en plus dans les profondeurs, loin de la gare. Les rues criaient quelque chose de brillant et d'ahuri. H 4 - Pour les sceptiques, il faut noter: le nénuphar empestait l'essence comme un toxicomane. Le carburateur arrosait sans pitié.
H 1 - Eh, chef, trace pas, on va à un autre endroit !
H 4 - Lequel ? Le chauffeur de taxi passe la troisième et appuie sur le champignon.
H 1 - Un autre endroit : le désert.
H 4 – « Pour quoi faire, hein ? » Il tourne à droite.
H 1 - Là-bas… Bref, c'est long à expliquer ! « J'allongerai l'argent, j'en ai. »
H 4 - Le client est roi : le chauffeur met son clignotant en braquant le volant. Les os de ses épaules craquent.
H 1 - « Ah, chef, écoute, on revient. »
H 4 - Dis, décide-toi.
H 1 - « Non, c'est bon, chef, c'est décidé, c'est sûr. On va dans le désert… »

Interview 1.
F 3 - Des médaillés du travail, élégamment habillés, sont devenus, sans doute, la carte de visite du secteur tertiaire dans la région de Minsk. L'idée de passer du bleu de travail au costume-cravate marque ici le début des premiers changements. Le quotidien devient également plus facile pour les habitants de la campagne. C'est précisément pour y parvenir que partout dans notre république s'ouvrent des agro-cités à l'infrastructure développée. Il y a dans la région de Minsk une nouvelle unité administrative : l'agro-cité Loutchniki. Le centre de services a l'air très confortable. À vrai dire, on est pour l'instant un petit peu à l'étroit, ici, mais, en perspective, ils comptent s'élargir… Votre centre de services mixte est le premier de l'agro-village
de la région de Sloutsk, mais c'est également une certaine responsabilité… Tous, mis à part F 3, parlent russe avec un accent biélorussien. F 1 - Pour sûr, c'est une très grande responsabilité. Nous devons, bien entendu, aussi faire des travaux dans le centre, parce que c'est ça les conditions, ici : y a pas d'eau, et on est en train de nous raccorder aux canalisations, et ils nous raccordent à l'eau courante et ils agrandissent. Parce qu'on est un peu à l'étroit,
et… Et la demande de la population, elle est très grande, et il y a beaucoup de clients qui viennent, parce que deux coiffeurs et un cordonnier. C'est ici sur place qu'on répare tout, et on produit les réparations ici, on fait ça sur place.
F 3 - Vous gagnez de l'argent ?
F 1 - Pas beaucoup, mais on en gagne, on se plaint pas, ben… Les clients... euh... viennent et... mm... On les invite, et en général, avec plaisir y viennent et sans réclamation. Ben, on essaye bien sûr de travailler sans… reproches, race que le client a toujours raison. Même s'il n'a pas raison, c'est tout comme…

1. Cette scène d'interview est très fortement inspirée par les émissions de télévision de la chaîne nationale principale biélorussienne.



Ed. L'ESPACE D'UN INSTANT
232 pages
Date de parution : Mai 2007
ISBN 978-2-915037-30-2

 

viripaev





Personnages

Homme 1
Homme 2
Homme 3
Homme 4
Femme 1
Femme 2
Femme 3











priajko

Pavel Priajko
au Théâtre Libre, Minsk 2007



 

     AUTRES TRADUCTIONS publiées en France




 

     TRADUCTIONS disponibles au catalogue Novaia-russe




 

     TRADUCTIONS à paraître en extrait




 


le theatre russe par Gilles Morel depuis 2006 - tous droits reserves