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PAVEL PRIAJKO

Le Champ
Pièce dédiée à la physique contemporaine.

traduction Tania Moguilevskaia & Gilles Morel


Extrait de la pièce

Pavel, préoccupé, pressé, marche à travers le champ en serrant son portable contre une oreille. Un écouteur pend dans le vide, avec l’autre il écoute de la musique. Pavel attend une connexion avec un correspondant.
PAVEL. - Allo, Serguei ? Ecoute, je crois, non, je ne crois rien, bref, il est à qui le champ que qu’on travaille ?.. (Fort) Qu’est-ce t’as à crier comme ça ?!.. Qu’est-ce t’as à me crier dessus ?!
Pavel interrompt la communication . Enervé, il s’attrape les cheveux, on dirait qu’il est au désespoir. Pavel compose un numéro sur son portable en marmonnant.
PAVEL. - Décroche, décroche, décroche, Igor… Allo, Marina, Igor est avec toi ?.. Je vois, tu sais pas où il est ?.. Marina, mais quelle discothèque ?!...Tu sais, là, je !.. Trouve-moi Igor, si tu le vois dis-lui qu’il me rappelle ou qu’il vienne me voir je déjà en route… Fais ce que je te dis ! Et pas comme d’hab. Ouais. Salut.
Pavel finit de parler, éteint son portable. Il est sérieusement troublé.

Camionneur est en plein acte sexuel avec Alina. La tête d’Alina cogne rythmiquement contre la caisse du camion.
MARINA. - Hum, hum…
Camionneur et Alina suspendent leur acte, s’habillent en toute hâte.
MARINA. - C’est pas ça, n’aie pas peur, je dirais rien à Andrei, de toute façon c’est pas mes affaires. Dites, vous avez pas vu Igor, peut-être qu’il est dans le coin...
CAMIONNEUR. - Il est passé, passé, il y a une quinzaine de minutes.
MARINA. - Il a pas dit où il allait par hasard ?
Camionneur. Chercher le chargeur de son téléphone, la batterie l’a lâché, voulait le brancher sur l’allume-cigare.
MARINA. - Merci.
ALINA. - Tiens, le voilà qui s’amène. MARINA. - Je le vois.

Marina se précipite au-devant d’Igor.
MARINA. - Appelle, s’il te plait, Pavel, il m’a demandé que je te trouve et que je te transmette ça. Il veut te parler. En sortant son portable, Igor s’interroge.
IGOR. - Pourquoi qu’il me l’a pas dit ? Encore à chercher des emmerdes pour son cul.
MARINA. - Non. Je crois que c’est quelque chose de sérieux cette fois.
Igor attend la connexion, commence à agiter son pied avec impatience.
Igor. Décroche pas.
MARINA. - Attends. Il a ses écouteurs.
Igor attend en agitant son pied.
MARINA. - Attends, attends.
IGOR. - Pavlou ! Dégage-toi tes putains d’oreilles !
MARINA. - T’énerve pas, il va décrocher.
IGOR. - J’en ai rien à f… Allo, Pavel, qu’est-ce tu me veux ?
En écoutant ce que dit Pavel sur le portable, Igor s’éloigne en hâte, Marina marche dans ses pas.

Le champ. Dans la journée. Igor très mécontent parcourt le champ avec précipitation, Marina se dépêche derrière, elle ne parvient pas à le rattraper.

IGOR. - Connerie ! Quelle connerie, putain ! Non mais c’est tout simplement pas possible.
Marina attrape Igor, lui prend le visage dans ses mains.
MARINA. - Quoi Igor ? Quoi qu’est pas possible ?
Igor essaie de libérer son visage des mains de Marina. Il y arrive enfin. Marina pose sa main sur son dos.
MARINA. - Calme-toi, c’est bon, encore un peu et tu vas te remettre à tousser.
IGOR. - Aïe !
MARINA. - C’est bon, calme-toi.
IGOR. - Pavel dit que c’est pas notre champ qu’on travaille !
MARINA. - Il est à qui alors ?
IGOR. - Européen ! Champ de l’Europe !.. Absurde !.. Bon dieu c’est pas possible, c’est la deuxième semaine qu’on travaille, si c’était vrai, et là je raisonne du point de vue de la pure logique, il y a longtemps qu’on nous aurait dit de dégager.
Igor se tape sur le front avec la paume. Il tape, tape encore. Marina essaie d’arrêter sa main. Igor s’arrête de lui-même.
IGOR. - Appelle Serguei, putain ! Fais-moi le numéro de Serguei.
Marina fait le numéro sur son portable.
IGOR. - Connerie! Il a suffi que Vladimir Fiodorvitch…
MARINA. - Tiens.
IGOR. - Allo, Serguei ? Excuse le dérangement, t’as parlé tantôt à Pacha ? Et ..? Je le crois aussi, mais c’est au cas où, pour moi par là, c’est l’Ouest, par là, c’est l’Est, par là, c’est le Sud, par conséquent, où nous sommes là, t’es où en ce moment, du côté de l’Ouest ?.. Bah, voilà !.. Je regarde par là !.. Ouais, t’es bien là-bas, et qui est du côté Nord ?.. Comment ça, personne ?... Nique ta mère, mais alors qui est du côté Nord ?.. Ser… Serguei, putain, j’ai des machines du côté Nord !!.. Va t’faire toi-même !!
Igor éteint le portable.
IGOR. - Putain.
Marina prend le portable de ses mains.
MARINA. - Qu’est-ce qu’il a dit ?
Igor ne répond pas, penche la tête en arrière.
IGOR. - Faut réfléchir, réfléchir, réfléchir, Igor Vasilievitch.
Marina s’assoit sur la terre du champ.
IGOR. - Bon! Il est où, le Sud ?.. Le Sud, c’est par là ! Le Nord, c’est par là, l’Est, c’est par là, l’Ouest, c’est par là…
Ce qu’Igor voit dans le champ le fait se refrogner davantage. Comme s’il venait d’apercevoir ce qu’il ne voyait pas auparavant.
IGOR. - Marina, de quel côté t’as les machines ?
MARINA. - Où ?
IGOR. - Putain, mais lève-toi et regarde, s’il te plaît !
Marina se met debout.
IGOR. - De quel côté tu as les moissonneuses-batteuses ? Regarde, tu as les moissonneuses-batteuses à droite à gauche, derrière, devant, où seulement à droite ?
MARINA. - Partout.
IGOR. - Partout.
MARINA. - Oui. Et ça fait trois jours que c’est comme ça, Igor.
IGOR. - Pas possible.
MARINA. - Pourquoi ?
IGOR. - Parce que nous ne moissonnons que là-bas ! Là-bas, là-bas ! Que de ce côté-là précisément !
MARINA. - Ne crie pas.
IGOR. - Alors qu’ici, ici et ici, personne en principe ne peut rien moissonner ! Là-bas c’est l’Europe, et par là c’est la forêt ! La forêt, tu piges !? Que des loups, que dalle !
MARINA. - Pourquoi ?
IGOR. - Mais parce que, Marina !
MARINA. - Ne crie pas, j’ai tout compris. T’as une explication ?
IGOR. - J’ai seulement qu’il faut d’abord que je parle avec Pacha.
MARINA. - Dis-moi.
IGOR. - D’abord je vais parler avec Pacha, je viens de te dire !


Le champ. Dans la journée. Pavel marche à travers le champ et parle sur son portable, un écouteur fourré dans l’oreille, l’autre pend.
PAVEL. - Personnellement, je n’ai aucune intention de faire quoi que ce soit, Igor… Oui, je vais venir, je vais prendre le volant et je vais continuer à travailler… Je vais écouter mon baladeur, je vais moissonner et j’en ai rien à foutre, c’est mon travail et ça m’est égal à qui ou à qui est la terre, je le fais… Terre… La Terre, elle est unique Igor ! Unique, tu comprends et transmets ça à l’autre débile ! Au début, je me suis mis putain à paniquer, mais ensuite je me suis repris, demande à Marina, elle me laisse jamais raconter des bobards, je suis travailleur agricole, putain, de père en fils !.. Ouais, tu comprends, ouais !!.. Et rien à branler ! Et ce soir quand ces hallucinations seront passées, parce qu’il peut pas y avoir autant de machines, faudrait être un con fini pour en sortir autant, j’irai m’acheter un nouvel ordi ! Un an et demi que j’économise ! Suffit, Igorieuk… Je l’ai niqué ton Vladimir Fiedorovicth, tu le sais ça ?!.. Suffit, Igor, finissons cette conversation qui mène nulle part !.. Et je te conseille de faire la même chose. (En souriant.) T’as rechargé ton téléphone ?.. Suffit, sois heureux, fais gaffe sinon je te passe devant… Suffit, salut.
Pavel éteint son portable. Il est rempli d’une terreur intérieure, mais il essaie de tenir bon.
PAVEL. - Y a tant d’oiseaux ! Tant de vie tout autour! A te rendre dingue.
Pavel regarde le champ. Il voit le champ, voit le ciel, voit le soleil chaud et voit les moissonneuses-batteuses de tous les cotés qui moissonnent le blé. Et ces moissonneuses-batteuses sont foules. Une fois de plus, la conscience de Pavel se laisse submerger par le fait que tout cela n’est qu’hallucination parce qu’il ne peut simplement pas y avoir autant de machines. Il se couvre le visage avec les mains. Aussitôt, une bécassine des champs qui le survole lui chie sur la tête.
PAVEL. - Je me suis fait chier dessus par un oiseau ou quoi ?!
Pavel essuie la merde d’oiseau de ses cheveux avec sa main.

Le champ. Dans la journée. Marina se tient debout aux côtés d’Igor.
IGOR. - Tout va bien. Faut travailler.
MARINA. - Je voudrais tant entendre de ta bouche quelque chose de tendre.
IGOR. - J’y vais.
MARINA. - Tu penses qu’on a raison de faire ce qu’on fait ?
IGOR. - Ouais. Pavel a raison. On est travailleurs agricoles de père en fils, on sait rien faire d’autre. On moissonne le blé et eux, ils ont qu’à mettre de l’ordre là-haut eux-mêmes. C’est bon, petite, il faut travailler, tu peux rentrer.
Igor se retourne et monte dans la moissonneuse-batteuse. Marina regarde Igor grimper dans la machine.

 
champ

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cote NOVAIA : NRU 101




Personnages

Alina
Igor
Marina
Pavel
Serguei
Camionneur
Garçon





priajko

Pavel Priajko
Moscou, 2010



priajko grigorian

Pavel Priajko et Philippe Grigorian
Moscou, septembre 2010



champ

Le Champ
création par Philippe Grigorian
Ecole de la Pièce Contemporaine
Moscou, septembre 2010




cdn valence

Première lecture publique de
LE CHAMP
dirigée par Gilles Morel
le 23/01/2010


cdn valence

 

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