TRADUCTION PUBLIEE

 


PAVEL PRIAJKO

La Récolte

traduction Larissa Guillemet & Virginie Symaniec


Extrait de la pièce

Une pommeraie. Les branches ploient sous le poids de grosses et belles pommes. Des jeunes gens les ramassent, les posent dans des caisses. Egor et Valeri cueillent des pommes et les passent à Ira et Liouba. Les filles les mettent dans des caisses.

Egor, donnant une pomme à Ira — C’est rigolo de ramasser des pommes.
Ira — C’est sûr !
Elle met la pomme dans une caisse.
Egor — C’est vraiment très rigolo !
Egor tend une pomme à Ira. Elle la met dans une caisse.
Egor — Pause !
Les jeunes s’arrêtent de ramasser les pommes.
Valeri — C’est une variété d’hiver.
Liouba — Qu’est-ce qui te fait croire ça, Valera ?
Valeri — Regarde, tâte-la !
Valeri tend une pomme à Liouba. Liouba la prend.
Valeri — Liouba, tu sens comme elle est dure ?
Liouba, tâtant la pomme — Rigolo, hein ?
Egor et Ira prennent aussi chacun une pomme.
Valeri — C’est une reinette dorée. C’est une variété de pommes d’hiver. Elles se conservent tout l’hiver !
Egor — C’est rigolo !
Valeri — Là, elles ne sont pas encore bonnes. Mais en hiver, en février, si on les laisse comme ça …
Ira — Et alors, Valera, ça donne quoi ? Elles mûrissent en hiver ?
Valeri — Oui.
Ira — Vraiment très rigolo !
Valeri — Par contre, il ne faut pas les taler.
Egor — C’est-à-dire ?
Valeri — C’est-à-dire qu’il faut les poser avec beaucoup de précaution dans les caisses, comme ça, elles se conserveront longtemps. Il ne faut pas les bousculer.
Egor — J’ai compris. C’est rigolo.
Valeri — Dites, les gars, vous n’avez jamais meurtri ou laissé tomber des pommes ? Essayez de vous en souvenir, s’il vous plaît, car la pomme talée commence à pourrir. Et s’il y en a une qui commence à pourrir, après, toutes les autres pourrissent, et alors là, elles ne se conservent pas longtemps. Elles ne passent pas l’hiver.
Liouba — En ce qui me concerne, je les pose doucement, Egor me les passe…
Egor — C’est ça. On essaie de faire attention, Valera. On ne savait pas que les pommes talées ne se conservent pas longtemps. Mais en tout cas, on essaie de les poser avec beaucoup de précaution.
Liouba — J’ai dû le sentir intuitivement qu’il fallait le faire délicatement…
Ira — Zut ! Je crois que j’en ai mis une comme ça dans la caisse !
Valeri — Dans laquelle ?
Ira — Dans celle-là.
Elle montre la caisse.
Je vais la sortir tout de suite. Une seconde.
Ira se penche sur la caisse et commence à farfouiller dans les pommes.
Valeri — Ira, ne les bouscule pas ! Sors-les plutôt une par une et range-les par terre ou dans une autre caisse. Parce que comme ça, elles s’abîment aussi, alors…
Valeri se penche sur une caisse. Avec Ira, ils sortent les pommes et les posent par terre.
Valeri — Tu vois comme elles sont dures. Quelle dure de variété c’est.
Liouba aide Ira et Valeri à sortir les pommes.
Ira — Écoutez, je voudrais bien le faire seule s’il vous plaît. Je me rappelle comment elle était. Comme elle ne s'est pas beaucoup cognée, on peut tout simplement ne pas la remarquer. Mais moi, je me souviens à quoi elle ressemblait…
Liouba, montrant une pomme — C’est celle-là ?
Ira — Non.
Liouba pose la pomme par terre.
Egor — C’est rigolo, j’ai pas remarqué que tu l’avais laissée tomber.
Ira — Je ne l’ai pas laissée tomber. Je l’ai juste posée un tout petit peu plus brusquement dans la caisse.
Valeri — Beaucoup plus brusquement ?
Ira — Ben, oui … plus brusquement que toutes les autres.
Valeri — Comment ? Montre.
Tout le monde regarde Ira. Ira montre comment elle a lancé la pomme dans la caisse.
Ira — Ben, je l’ai prise comme ça, et voilà, comme ça, peut-être un peu plus fort.
Valeri — Plus fort ou comme ça ?
Ira — Je vais encore en gâcher une là.
Valeri — C’est pas grave. Montre comment t’as fait. On la mangera.
Ira prend une pomme et la lance.
Ira — À peu près comme ça.
Valeri — En principe, c’est pas fort.
Egor — Pas fort, hein ?
Valeri — Pas fort… Donnez-moi une seconde.
Il réfléchit.
Ira — Peut-être que quand même…
Egor — Valera, tout simplement qu’après…
Valeri — Oui. Vous savez, le mieux, ça serait qu’on la sorte. Ira, où est la pomme avec laquelle tu nous as montré tout ça ?
Ira — Là.
Valeri — Mets-la de côté, s’il te plaît.
Ira — Aha.
Elle met la pomme de côté.
Valeri — Pour qu’après on ne la mette pas par hasard dans une des caisses.
Tous sont débout et regardent Ira sortir les pommes de la caisse et les poser par terre.
Liouba — Qu’est-ce qu’elles sont jolies.
Egor — C’est rigolo, hein ?
Valeri — Et en plus, elles sont bonnes. Elles sont sucrées. En hiver, elles seront tout simplement… Maintenant, elles sont encore dures, mais passées l’hiver… En hiver, elles deviennent alors si juteuses.
Egor — Ça serait rigolo de les goûter.
Liouba — Ouais.
Ira — Je l’ai trouvée.
Elle montre la pomme.
Valeri — Fais-moi voir.
Ira — Tiens.
Ira tend la pomme à Valeri. Valeri prend la pomme.
Ira — C’est ce côté là…
Liouba — Le bruni, c’est ça ?
Valeri — Oui, ça se sent.
Egor — Donne, donne !
Valeri, tendant la pomme à Egor — Là, où c’est bruni.
Egor, prenant la pomme — Aha. On le sent bien.
Liouba — Donnez-la-moi, donnez-la-moi !
Egor — Elle est un peu ramollie.
Liouba — Laissez-moi voir.
Egor passe la pomme à Liouba.
Valeri — Tu l’as senti, hein ?
Egor — Ben, on le sent à peine.
Liouba — Ah oui, je le sens aussi.
Valeri — On le sent à peine, mais ça va être suffisant.
Egor — Oui.
Valeri — Elle va pourrir.
Liouba — On le sent à peine.
Valeri — Mais ça va être suffisant.
Egor — Oui, elle va pourrir. La pourriture se propagera vite sur toutes les autres pommes, mets-la de côté.
Valeri — Liouba, pose-la là-bas, à côté de l’autre pomme.
Ira — Passe-la moi, je vais le faire.
Liouba — Tiens
. Liouba tend la pomme à Ira. Ira prend la pomme.
Valeri — J’ai encore oublié de vous dire un truc, les gars ! Ne remplissez pas les caisses jusqu’en haut. On va empiler les caisses et ça risque d’écraser les pommes, il vaut mieux…
Egor — Moi, j’ai déjà empilé.
Valeri — Où ?
Egor — Cette caisse-là. (Il montre.) Celle-là sur celle-ci. Merde, y a des pommes… (Il prend la caisse.)
Valeri — Attends, je vais t’aider, viens on la soulève à deux, faut pas forcer.
Egor — Pourquoi je l’ai empilée comme ça moi ?...
Egor et Valeri prennent la caisse.
Egor — Lâche.
Valeri — Lâche, lâche, Egor, pose-la.
Egor et Valeri posent la caisse par terre.
Egor — Peut-être qu’elles sont pas écrasées.
Tout le monde regarde les pommes dans la caisse sur laquelle se trouvait la caisse qu’ils viennent juste de soulever.
Valeri — Vraiment, t’as rempli un peu trop quand même.
Egor — Je savais pas, Valera.
Tout le monde tâte les pommes dans la caisse.
Liouba, touchant la pomme — Celle-ci est molle.
Valeri — Sors-la, Liouba, si tu le sens. Sors-la, elle ne se conservera pas.
Liouba, sortant la pomme — Je la pose à côté de ces deux-là. D’accord ?
Valeri — Oui, pose-la là-bas. Bref, posez toutes les pommes abîmées à côté de ces deux-là.
Egor — Celle-là peut peut-être encore se conserver (Il tend la pomme à Valeri.)
Valeri, prenant la pomme — Elle peut peut-être se conserver, mais il vaut mieux ne pas prendre de risque.
Ira — Celle-ci aussi.
Valeri — Ira, si tu penses qu’elle ne se conservera pas, pose-la à côté des autres. La mienne aussi. Hé vous autres, on a qu’à poser toutes les pommes pourries au même endroit.
Tout le monde tâte les pommes, en cherchant les pourries.
Valeri — Regarde, Egor. Jusqu’à cette planchette…
Egor — D’accord.
Liouba — Valera, Valera, celle-ci, ça ira ? (Elle tend la pomme.)
Valeri tâte la pomme donnée par Liouba.
Liouba — Moi non plus, je n’arrive pas à décider.
Valeri —On s’en fout.
Egor — Donne, alors… (Il prend la pomme des mains de Valeri.) Ça va !
Ira — Passez-la moi.
Egor — Ça va, ça ira !
Ira — Passe-la moi pour voir !
Egor — Ça ira.
Egor passe la pomme à Ira, se penche sur la caisse et tâte les pommes. Liouba et Valeri regardent Ira tâter la pomme.
Ira — Attends.
Valeri — Qu’est-ce que tu en penses ?
Il tend la main, veut prendre la pomme.
Ira — Attends. Tu vois, j’ai l’impression que là, sous la peau, c’est déjà abîmé.
Valeri prend la pomme, la tâte.
Valeri — Egor !
Egor — Quoi !
Valeri — Tu en as mis des comme ça dans la caisse ?
Egor — Fais voir.
Egor prend la pomme, tâte.
Liouba — Qu’est-ce qu’elle a ?
Valeri — Elle est talée.
Egor va mettre la pomme avec celles qui sont abîmées.
Valeri, se penchant sur la caisse triée — C’est fini là ?
Egor — Oui. Donne, je vais ….
Valeri soulève la caisse, les planchettes en bois cèdent et les pommes tombent par terre.
Valeri — Putain. Faites attention que je ne les écrase pas avec les planchettes quand je vais poser la caisse par terre.
Egor — Aha.
Ira ramasse les pommes éparpillées.
Valeri — Ne les ramasse pas, faut pas, sinon on va tout mélanger.
Ira arrête de ramasser les pommes.
Egor — Valera, ici il y a une pomme, même deux…
Il se penche sur la caisse que tient Valeri.
Valeri, tenant toujours la caisse — Qu’est-ce qu’il y a, Egor ?
Egor — Deux pommes coincées entre les planchettes.
Valeri — Regarde si le jus a coulé.
Egor — Ç’est pas trop lourd ?
Valeri — Vas-y, regarde s’il te plaît, le jus a coulé ou pas ?
Egor — Je regarde, je regarde.
Il étudie le fond de la caisse.
Valeri — Parce que si le jus a coulé, les planchettes de la caisse vont être mouillées et les pommes vont pourrir.
Egor — Il a coulé ! Putain, Valera, il a coulé !
Valeri — Beaucoup ?
Egor — Deux, non … y a trois planchettes mouillées…oui, trois. Attends que je regarde encore une fois comme il faut…
Il étudie le fond de la caisse.
Liouba — C’est lourd ?
Valeri — Non. C’est juste pas très confortable. Alors, Egor, qu’est-ce qu’il y a ?
Egor — Trois planchettes, Valera.
Il se redresse.
Trois planchettes dans le jus.
Valeri — C’est clair. Aaaa. J’ai des crampes, des crampes à la main, au secours ! Attrapez !
Tout le monde s’élance pour aider Valeri. Egor arrive le premier.
Egor — Je la tiens, je la tiens, Valera.
Il tient la caisse avec Valera.
Lâche !
Valera lâche la caisse. Il se détend le poignet, plie et déplie les doigts.
Egor — C’est rigolo comme la caisse s’est cassée.
Liouba — Et pourquoi les autres ne tombent pas ?
Egor — Y a une pomme qui bloque là.
Liouba — Ah.
Valeri se penche sur la caisse.
Ira — Je vais peut-être ramasser celles qui sont tombées.
Valeri, regardant sous la caisse — Attends. Laisse-moi d’abord y voir plus clair. Les gars, en tout cas, il faut sortir les pommes de cette caisse d’une façon ou d’une autre hein…de toute façon… (Il se met debout.) Sortons d’abord les pommes intactes de cette caisse et mettons-les…
Il regarde autour de lui.
Ira — Mettons-les dans une autre caisse.
Liouba — C’est lourd ?
Egor —Ca va. Non. Mais j’ai juste l’impression qu’elles vont toutes dégringoler.
Valeri — Qu’est-ce que tu as dit, Ira ?
Ira — J’ai dit de mettre ces pommes dans une autre caisse, ensuite on les transvasera.
Valeri — Allons-y. Oui, on va faire comme ça. Liouba, Ira, mettez les pommes de cette caisse dans celle qui était avant sur celle-là. Ensuite, on les mettra dans une autre.
Egor —Bon, mais on fait vite alors.
Valeri — C’est lourd ?
Egor — Non c’est pas lourd, sauf que j’ai l’impression qu’elles vont toutes tomber.
Ira — Attends, une seconde ! Attends ! Il ne faut pas les mettre avec les autres.
Liouba — Pourquoi ?
Ira — D’abord, elles peuvent être dans le jus de celles qui ont été écrasées par le fond et puis, on n’a pas fini de les trier.
Liouba — Comment ça ? On les a triées.
Ira — Valera, on les a triées ?
Valeri — Mince, je m’en souviens plus.
Egor — On les a triées.
Ira — C’est sûr ?
Egor, criant — Une abeille ! Putain, une abeille… ma main… (Il laisse tomber la caisse.) Aïe putain de merde !
Egor secoue sa main. Les pommes tombent de la caisse.
Egor, pleurnichant — Je suis allergique aux abeilles ! Putain, je vais gonfler de partout !
Liouba — Qu’est-ce qu’on fait ?
Egor secoue sa main.
Ira – Et si j’essayais de sucer.
Egor — Non mais ça va pas…
Ira — Allez. Une fois j’ai sucé à mon père… (Elle prend la main d’Egor.) C’est où ?
Egor — Là.
Ira — Ah oui, je vois, oui…
Elle se met à sucer à l’endroit de la piqûre.
Valera —Ça va servir à rien.
Ira, crachant — Il était aussi allergique aux abeilles, je lui ai sucé tout le venin, il n’a rien eu.
Valera —Ça va servir à rien.
Liouba — Pourquoi ?
Valeri — Il faut inciser.
Liouba — Pourquoi ?
Ira crache, suce de nouveau.
Valeri — Elle a commencé à sucer beaucoup trop tard. Ira, ça ne sert à rien que tu suces, il faut inciser.
Ira crache, suce de nouveau.
Liouba — Comment tu te sens, Egor ?
Egor — Ça va ? J’ai pas le visage rouge ?
Liouba — Si, il est rouge.
Egor — Bon alors, c’est foutu. C’est l’allergie.
Ira, crachant — Ça y est. Y en a plus.
Valeri — Il faut inciser avant qu’il ne soit trop tard.
Ira — C’est quand même pas un serpent, Valera.
Egor — Ouïe !
Liouba — Qu’est-ce qu’il y a, Egor ?
Egor — Aïe !
Ira — J’ai déjà tout sucé.
Valeri — Il faut inciser. Ça ne sert à rien. Tu es d’accord, Egor ?
Egor — Pour faire quoi ?
Valeri — Faire une incision.
Egor — Quelle incision ?
Valeri — Il faut inciser là où l’abeille t’a piqué pour que le venin sorte avec le dard.
Ira — J’ai déjà sucé le venin.
Valeri sort un couteau de sa poche et l’ouvre.
Valeri — Donne ta main.
Egor — Vas-y doucement.
Valeri — N’aie pas peur. Egor tend la main à Valeri. Valeri coupe à l’endroit de la piqûre avec son couteau.
Egor — Putain !... (Il le pousse.) T’es fou ?!
Valeri — Du calme.
Egor — Mais t’es fou ou quoi de couper si profond ?!
Valeri — Du calme.
Le sang coule de la plaie. Valeri replie le couteau.
Egor — Putain !
Liouba — Fais voir.
Liouba prend Egor par la main. Egor fait une grimace de douleur.
Valeri — Au moins, tu n’auras pas d’allergie.
Liouba — C’est un peu profond, hein.
Egor — Valera, t’es fou ou quoi ?
Valeri — Egor ! Au moins, tu n’auras pas d’allergie.
Ira — Attends. J’ai un mouchoir.
Ira fait un pansement à la main d’Egor.
Ira — Un mouchoir, c’est trop petit pour faire un pansement correct. Tiens-le comme ça.
Egor ferme le poing, le mouchoir sur la plaie. Tout le monde regarde les pommes éparpillées.


 

viripaev





Personnages

Ira
Liouba
Egor
Valeri








priajko

Pavel Priajko devant Teatr.doc
Moscou, septembre 2009












 

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