|
OLGA MOUKHINA
You
traduction Nicolas Struve
Extrait du texte
Ania et Dimitri boivent du vin en observant rêveusement Moscou, ses lumières, ses rues, ses automobiles. André relit les lettres qu’il a reçues.
DIMITRI. Tout est si beau! Tu es belle. Moscou est belle.
ANIA. J’ai une folle envie d’être follement belle, pour que tout le monde perde la tête !
DIMITRI. Total - tu es belle comme Moscou.
ANIA. Non ! Moscou n’est pas jeune !
DIMITRI. Mais toi tu es follement belle. (Ania rit.) Qu’est-ce que tu as fabriqué, pendant que je n’étais pas là ?
ANIA. Je ne sais même plus l’âge que tu as.
DIMITRI. J’ai vingt ans. Je suis un véritable jeune homme maintenant.
ANIA. J’ai vingt ans. Jamais je n’ai été à l’étranger.
DIMITRI. Il n’y a pas d’hiver là-bas.
ANIA. Je suis mal en hiver.
DIMITRI. Je n’ai pensé qu’à toi.
ANIA. Quand tu es parti, tu ressemblais à un poussin.
DIMITRI. Et maintenant ?
ANIA. Maintenant aussi.
DIMITRI. Maintenant, je ressemble à un héros maintenant. Tout le monde le dit. (Ania rit.) Je me suis baladé sur les boulevards cette nuit. Il faisait sombre, tout était calme, sur les bancs tout le monde s’embrasse - de l’amour tout à la ronde ! Et la journée, partout des fleurs.
ANIA. C’était pas comme ça avant ?
DIMITRI. On a tout le temps envie d’en acheter, pour en offrir aux filles.
SEB. Pirogova dit que les hommes ne sont capables de rien d’autre.
DIMITRI. Hier, je l’ai vue.
ÉLISABETH SERGUEÈVNA. Et tu lui as offert des fleurs ?
DIMITRI. Non, elle s’est enfuie à toute allure.
SEB. Il se peut qu’elle ait eu peur.
DIMITRI. Oui, je parlais fort, je lui ai fait de grandes bises.
ANIA. Ça doit faire cent ans qu’elle n’a embrassé personne.
DIMITRI. Et toi ?
ANIA. Et toi ?
DIMITRI. Quand je suis parti, tu pleurais.
ANIA. Je pleure toujours quand quelqu’un part.
ÉLISABETH SERGUEÈVNA. Et si on buvait un thé ou un café !
SEB. Un thé ou un café ?
ANDRÉ. Un thé.
ANIA. Ou un café ?
Ils rient, déplacent les tasses.
DIMITRI. J’ai rêvé tellement longtemps de cette ville ! D’être simplement debout quelque part à attendre le trolley - et c’est tout. Que le coeur exulte, que l’âme soit en liesse! être debout sous une neige qui tombe doucement, sous un ciel rose, observer comment les jeunes filles esquissent des pas de danse, comment les chiens courent sur la chaussée. J’ai tellement envie que l’hiver arrive au plus vite !
ANIA. Je n’ai tellement pas envie que l’hiver arrive.
DIMITRI. J’aime tellement cette ville.
ANDRÉ. Moi aussi, je l’aime tellement.
DIMITRI. J’aime ma patrie.
ANIA. Moi aussi je l’aime. Et alors ?
SEB. Ça c’est bien.
DIMITRI. J’avais peur – et si tu ne l’aimais plus ! Mais tu es… tu es toujours la même… tu es comme avant… tu es comme - alors…
ANIA. Non. Je suis contente que mon enfance soit finie !
ÉLISABETH SERGUEÈVNA. Moi, j’ai passé toute mon enfance à vélo dans le parc Pétrovski!
ANDRÉ. Moi, j’ai eu un chat orange dans mon enfance.
ANIA. Et moi, rose.
DIMITRI. Moi, j’ai perdu mon enfance au ping-pong avec la fille que j’aimais.
SEB. Moi, la fille que j’aimais m’a appris à jouer avec des allumettes.
DIMITRI. Là-bas tout le monde me demandait: “Tu vas où ?”
SEB. A Moscou.
ÉLISABETH SERGUEÈVNA. Et eux : “O…”
Ils rient. v
DIMITRI. Je leur réponds - MOSCOU N’EST PAS AUSSI LOIN QU’IL VOUS SEMBLE IL FAUT JUSTE VOULOIR Y ETRE.
ANDRÉ. Seulement elle n’aime pas tout le monde. Elle n’attend pas tout le monde. Elle ne pardonne pas à tout le monde.
DIMITRI. Mais moi, elle m’a attendu. Elle m’a souri et elle s’est réjouie.
ANDRÉ. Vous croyez vraiment ?
DIMITRI. Je le sais. Je sens que demain le soleil brillera.
|
|
Pièce en 2 parties 14 tableaux
PersonnagesStépane Ivanovitch - la soixantaine
Élisabeth Sergueèvna - sa femme
Ania - 20 ans, leur fille
L’ Ainée - 35 ans, leur fille
Seb - 40 ans, mari de l’aînée
André - 40 ans
Dimitri - 20 ans
Pirogova - 20 ans
Barsoukov - 50 ans
Nicolas - 20 ans, son fils
et deux vieilles
Olga Moukhina, 2003
|
|